vendredi 6 septembre 2024

L’œuvre est repartie… discrètement

 

Dans le JT de 20H de France2 du 21 août 2024, la rubrique vacancière « Art d’été » est consacrée à l’explication du contenu de la toile « La nuit étoilée » de Vincent Van Gogh. Après sa diffusion, la présentatrice en studio indique qu’on peut découvrir à Arles cette œuvre « jusqu’au 25 août ».

Or, l’exposition « Van Gogh et les étoiles » où elle trône à la « Fondation Vincent Van Gogh Arles » est annoncée jusqu’au 8 septembre.

Qui donc se trompe? Il faut savoir que cette manifestation culturelle fortement médiatisée est construite avec des œuvres de près de quatre-vingt autres artistes autour du chef d’œuvre prêté par le musée d’Orsay dans le cadre de l’opération nationale « Les 150 ans de l’impressionnisme ». Mais l’œuvre essentielle qui est à l’origine de la conception même de l’exposition quitte Arles le 26 août, soit près de deux semaines avant la clôture de l’activité. Avant de départ de celle-ci, le public n’a pas droit à en connaître la ou les raisons, et cela ne suscite guère une investigation de la part des journalistes qui s’intéressent à cet événement majeur. Pour assouvir sa curiosité sur ce sujet précis, il fallait, Entre le 27 août et le 8 septembre visiter l’exposition lorsque « La nuit étoilée » n’est plus là. Alors, sur le très grand mur brun foncé déserté, à côté d’une photo qui reproduit l’œuvre, un petit écriteau signale que la peinture a été décrochée pour rejoindre l’exposition « Van Gogh: poètes et amants » qui commencera le 14 septembre 2024 à la National Gallery de Londres.

 

La panneau de l’exposition après le départ de l’œuvre majeure « La nuit étoilée ». Et le petit avis qui indique le pourquoi de cette disparition (photo Cv)


Le JT de France 2 respecte donc bien son public. La Fondation organisatrice aussi. En effet, elle a multiplié les avertissement concernant ce départ prématuré. Sur le site, l’information est donnée dès la page d’accueil. Puis, lorsqu’on clique sur l’onglet « Découvrez l’exposition » l’absence est particulièrement mise en valeur graphiquement dans les « informations pratiques » notamment par un point d’exclamation en noir entouré de jaune qui attire immanquablement le regard. Au moment d’acheter le ticket via le site, l’information est à nouveau signalée. Il y est même ajouté : « Pas de vente en ligne (des tickets) après le 25 août ». Effectivement, il est impossible de réserver un créneau horaire ou de se procurer une place via le site pour la période de l’exposition sans l’œuvre maîtresse :

https://www.fondation-vincentvangogh-arles.org/exposition/van-gogh-et-les-etoiles/

Le communiqué de presse mentionne aussi le départ de la peinture et de nombreux quotidiens répercutent cette donnée utile, dont « Le Figaro » ou « Le Soir ».

À Arles, un parcours d’indications sur plaques permet de découvrir les lieux où Van Gogh a planté son chevalet. Ici, pour peindre sa toile « La Nuit Étoilée ».

La conservatrice en chef était bien au courant

Cet avis de … disparition indiqué aux futurs visiteurs n’est pas si fréquent. Bien avant la création du musée Magritte, les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) avaient organisé dans leurs locaux de la rue de la Régence la « Rétrospective Magritte » du 6 mars au 28 juin 1998. Elle attira plus de 300.000 visiteurs qui purent contempler plus de trois cents cinquante œuvres.

Le 24 juin 1998, Bernard Hennebert, le futur président de « La Ligue des Usagers Culturels » (L.U.C.) envoie une plainte pour « tromperie volontaire dans la promotion ». Les organisateurs ont choisi comme emblème pour cet événement la toile «Le château des Pyrénées». On la retrouve sur l’affiche, le dépliant, la couverture du catalogue… et elle sera même le sujet d’un timbre édité par la poste. Mais cette toile est rapatriée à mi-parcours de la rétrospective à son institution prêteuse, l’Israël Museum.

Une enquête auprès du personnel lui permet de découvrir que lorsque ce choix de mise en valeur d’une des œuvres exposées fut fait, la date de retour de l’œuvre à Jérusalem était déjà connue.

Le 7 août 1998, Éliane De Wilde, la conservatrice en chef des MRBAB, lui confirme les faits par écrit: «Il est vrai que le tableau est parti avant la fin de l’exposition et nous le regrettons».

Et dans ce cas, aucune information n’a filtré pour annoncer aux journalistes et aux visiteurs ce retrait, pas même une petite ligne en bas d’une des page du dépliant!

Dans sa réponse, Madame De Wilde a omis de répondre à d’autres questions plus pointues: «Considérez-vous qu’il était judicieux de choisir comme emblème de cette exposition une toile qui ne sera pas exposée durant toute la durée de la manifestation? Pourquoi le public n’a-t-il pas été averti avant l’achat de ses tickets? Pourquoi le dépliant ne le mentionne-t-il pas?». 


L’affiche, le dépliant en français et les timbres postes d’une exposition qui a attiré 300.000 visiteurs … dont nombre furent un peu trompés!

Remboursement du ticket à 6 €

Ce type de problématique est récurrent même s’il n’est quasi jamais évoqué dans les réflexions « droits des usagers ».

Ainsi, près de six mois de pression ont été nécessaires pour conduire Henri Simons, alors échevin de la culture (ÉCOLO) de la ville de Bruxelles, à écrire à l’avocate de Bernard Hennebert (B.H.), le 14 octobre 2002 : « C’est avec plaisir que je charge mes services de rembourser à votre client le montant de 6 € ». Cette somme correspond au prix de l’entrée (avec réduction) de l’exposition « Rubens » qui s’est tenue du 12 mars au 28 juillet 2002 à l’Hôtel de Ville de Bruxelles.

Trois mois avant la fin de cette exposition, le « Silène Rêvant » a été rapatrié à Vienne. Il faut savoir que cette toile avait souvent été mise en évidence par la critique dans ses comptes-rendus. Elle a d’ailleurs illustré la majorité des articles parus dans la presse écrite.

Quelques jours plus tard après la défection, B.H. visite cette exposition.

Sur le trottoir de la Grand Place, un panneau facilement transportable affichant un poster de cette œuvre prématurément décrochée est toujours disposé pour baliser l’entrée de l’exposition. On attire donc le badaud avec la toile qu’il ne pourra justement pas contempler en vrai!

La photo de l’entrée de l’exposition Rubens sur la Grand Place de Bruxelles. Pourquoi continuer à utiliser le panneau qui est à droite de la porte d’entrée et qui doit reprendre place chaque matin devant l’Hôtel de ville?

Autre détail qui semble significatif: dans la salle d’accueil, sur le comptoir où l’on paie sa dîme, une petite vitrine éclairée présente un catalogue… malencontreusement ouvert à la page qui reproduit l’œuvre manquante. Aucun avis n’est affiché pour informer le visiteur de ce retrait. Le dépliant n’est pas plus loquace.

« Le Silène Rêvant » dans le catalogue de l’exposition.

Il ne s’agit pas de cas unique. En voici un autre qui s’est déroulé à la même époque : l’exposition « La Belle Époque » qui s’est tenue du 26 octobre 2001 au 28 avril 2002 aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles. Y ont été décrochées avant terme des œuvres de Théo Van Rysselberghe, Fernand Khnopff, Pablo Picasso et Rick Wauters.

En ce qui concerne l’exposition Rubens, la lettre eut deux conséquences : le rangement du panneau litigieux qui se trouvait sur le trottoir et le changement de page du catalogue exposé.

En revanche, aucun avertissement ne fut affiché sur l’œuvre manquante, ce qui est inexcusable. L’évolution du contenu de l’exposition n’est toujours pas indiquée au visiteur. Une sorte de mensonge par omission. Alors B.H. a décidé de se faire rembourser son ticket à titre symbolique et ce fut laborieux. Les simples courriers d’usager, même en envoi recommandé, n’aboutiront à aucun résultat concret.

Finalement, Mr Simons réagira positivement à la lettre envoyée le 2 octobre 2002 par l’avocate Isabelle L. : « (...) Mon client (B.H.) n’entend actuellement qu’être remboursé du prix déboursé pour visiter cette exposition ne présentant pas l’un des tableaux de Rubens annoncés (...). À défaut de règlement amiable de ce litige, mon client ne manquera pas de faire valoir ses droits, se réservant expressément, en outre, de réclamer notamment des dommages et intérêts pour les désagréments que lui causerait votre attitude ».

Sans doute que ce revirement tardif de l’échevin fut aussi consécutif à plusieurs articles qui dénoncèrent le problème dans la presse écrite, dont une enquête signée par Guy Duplat qui s’était rendu sur les lieux pour constater les faits et avait titré en « une » de « La Libre » : « Combat : Ces tableaux que l’on n’a pas vus... », le développement de l’article en page intérieure s’intitulant « Une expo, cela peut tromper ».

Contacté par B.H. sur ce cas concret dès le 28 juin 2002, Charles Picqué, alors Ministre des affaires économiques au niveau fédéral qui avait en charge, notamment, la protection des droits des consommateurs, répondra le 29 octobre 2002.

Sa lettre, dont voici quelques extraits, confirma la base d’un droit à la protection des consommateurs culturels : « Un principe de droit exige, qu’avant la conclusion de tout contrat, la partie « dominante » doit fournir à son futur cocontractant toutes les informations utiles à une prise de décision en connaissance de cause. Agir autrement enfreindrait la bonne foi. Les Cours et Tribunaux ont depuis longtemps reconnu l’existence d’une obligation générale de renseignements à charge des fabricants, vendeurs et prestataires de services professionnels. Ce principe juridique permet de sanctionner un comportement fautif au cours de la période pré-contractuelle. Dès lors, je suis également d’avis que la Ville de Bruxelles aurait dû faire le nécessaire afin que les visiteurs soient avertis de la disparition d’une œuvre maîtresse de l’exposition ».

Combien de visiteurs osent ou peuvent se permettre pareille obstination ? Il existe donc bel et bien des droits en faveur des visiteurs, mais ceux-ci leur sont le plus souvent méconnus. D’où tout un travail d’information à faire auprès de ceux-ci, et voilà pourquoi la L.U.C. n’a pas voulu, en publiant le présent article, rater cette occasion estivale concernant Arles.

Un enjeu économique sous-jacent?

Signaler plus régulièrement ces départs pendant les déroulement d’expositions permettrait de mettre en évidence l’irrespect du monde muséal à l’égard des visiteurs mais aussi des journalistes qui travaillent pour présenter de façon critique et argumentée une exposition comme un tout, comme une œuvre elle-même, et qui n’a bien sûr plus le même sens étant malheureusement devenue incomplète.

Or, dans certains cas, l’intérêt économique de propriétaires d’œuvres peut consister à multiplier les traces des présences dans les expositions afin que leur chef d’œuvre prenne davantage de valeur.

Cette pratique détestable à l’égard tant du journaliste culturel que du public de ce « Je te prête ma peinture, mais que pour une partie de la manifestation, et toujours pour une excellente justification » devrait, au minimum, être systématiquement indiquée lorsqu’elle se déroule, ce qui s’est heureusement bien déroulé à Arles. Afin de tenter de réduire pareille pratique et surtout de la rendre plus visible auprès de tous.

Articles (La Libre) et agendas (Le MAD du Soir)de la presse écrite utilisent souvent comme illustration la toile qui ne restera pas visible durant toute la durée de l’exposition.