samedi 6 avril 2024

Un musée de Verviers malmène son mécène humaniste


L’inauguration de la réouverture du Musée des Beaux-Arts de Verviers en janvier 2024 après les inondations de 2021 (photo extraite du profil facebook de la ministre Bénédicte Linard).

Dès le 15 avril 2024, le Musée des Beaux-Arts de Verviers retrouve son obligation fort originale voulue depuis 1885 par son mécène : être « accessible au public, à titre gratuit, au moins deux fois par semaine».
Lorsque la Ligue des Usagers Culturels a découvert qu’il avait été mis fin à cette gratuité « pour tous », elle a déposé plainte auprès du Musée. Comme quoi, être attentif aux droits culturels du public est utile.
Pourtant, l’histoire ne se termine pas si bien… Le mécène aurait dû être sans doute plus précis dans la formulation de cet avantage pour les visiteurs…

Depuis 1885

Les obligations contractées avec des sponsors sont souvent appliquées avec ferveur, voire révérence, comme, par exemple, leur garantir les meilleures places pour assister à un spectacle.

Et qu’en est-il d’accords conclus avec des mécènes qui, eux, parfois, rêvent de démocratisation de la culture?
Que la sombre histoire Verviétoise qui suit reste unique en son genre…

Avant les inondations de la mi-juillet 2021 qui ont dramatiquement endommagé le musée des Beaux-Arts de Verviers (près de Liège), celui-ci pratiquait une gratuité « pour tous » tous les mercredis et dimanche de 13H à 17H.
Lors de la réouverture de cette institution, cet avantage disparait dans la présentation de la nouvelle tarification.

Il faut savoir que l’Arrêté royal du 23 janvier 1885 autorise le conseil communal de Verviers à accepter la « donation Renier » en faisant référence à l’acte notarié du 12 août 1884 par lequel Jean Simon Renier « fait donation entre-vils et irrévocable à cette ville » d’une collection d’art (un remarquable ensemble d’œuvres gravées des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, des peintures, des céramiques et des sculptures) sous diverses conditions parmi lesquelles le fait que le musée communal « soit accessible au public, à titre gratuit, au moins deux fois par semaine ». C’est le 22 mai 1885 que Mr Renier, « par acceptation pour signification », déclare avoir pris connaissance de l’Arrêté Royal qui approuve la donation.

Le site internet actuel (avril 2024) du musée est très loquace sur ce donateur mais omet d’indiquer qu’il avait demandé la création de cette gratuité pour tous les visiteurs. Cela ne me semble pas fort éducatif à l’égard du public d’aujourd’hui que de lui soustraire cette information significative et relativement rare: https://musees.verviers.be/les-implantations/footer-mini-site

 
Qu’est-ce qui n’est pas renseigné sur le site du musée à propos de la donation Renier?

Une plainte qui aboutit

Le 2 février 2024, la Ligue es Usagers Culturels (L.U.C.) écrit à Caroline Henry, le directrice des musées de Verviers, afin de savoir si le respect de cette partie de l’accord avec le mécène n’est plus d’actualité.

Le 12 février 2024, elle répond qu’une nouvelle formule intermédiaire a désormais cours, à savoir la gratuité du premier dimanche du mois.
Le compte est vite fait: cette évolution rétrécit chaque mois par huit l’obligation voulue par le mécène. Pour tenter d’expliquer ce choix, elle énumère d’autres instruments en cours dans son institution «permettant une accessibilité pour les publics les plus précarisés et les autres publics ».

Le 1er mars 2024, la L.U.C. dépose plainte officiellement « pour non respect d’un avantage destiné aux visiteurs scellé avec le donateur Renier ».
Le musée est aidé par la Fédération Wallonie Bruxelles et doit donc respecter les 15 points du Code des usagers culturels. Ainsi il est obligé de répondre de manière circonstanciée dans le mois. Si ce n’était le cas, ou si la L.U.C. n’était pas d’accord avec le contenu de sa réponse, il lui est loisible ensuite de relayer cette situation conflictuelle auprès de l’Administration Générale de la Culture « qui est chargée de la traiter dans un délai raisonnable et d’en informer le Médiateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles ».
https://www.culture.be/vous-cherchez/droits-des-usagers-et-publics-de-la-culture/

L’affiche qui détaille les 15 droits de l’usager culturel se découvre à l’entrée et à la sortie du musée verviétois.

Dans ce courrier, la L.U.C. réplique ainsi à une partie de l’argumentaire qui lui a été fourni pour tenter de justifier l’évolution tarifaire.

«  (…) Vous expliquez : « S’y ajoutent également divers autres instruments permettant une accessibilité facilitée pour les publics les plus précarisés (article 27, Pass Museum pour article 27) et les autres publics (Pass Museum, gratuité scolaire, gratuité pour les enfants, etc.) ».
Le Pass Museum ne doit pas entrer dans notre discussion car il ne s’agit nullement d’une gratuité et, en plus, il faut avoir la possibilité économique de débourser un an à l’avance le financement de ses futures visites.
Les mesures pour des publics spécifiques (pour les enfants, par exemple) coexistent habituellement en culture et ne remplacent pas les gratuités pour tous. Ce sont des sujets différents qui se complètent et donc qui ne s’excluent pas. Nous ne voyons donc pas de raison d’en parler pour tenter de justifier ou d’adoucir l’interruption d’une obligation vous liant au mécène.
Enfin, il y a la gratuité du premier dimanche du mois mais il nous semble peu adéquat de la mentionner dans le présent dossier. Pourquoi organiser ainsi l’éclairage sur un jour de gratuité pour tous par mois… ce qui met à l’ombre les sept autres jours par mois que votre institution est censée appliquer pour respecter la volonté de votre mécène? ».

La L.U.C. demande également dans sa lettre à quelle date sera rétabli un horaire qui respecte l’accord conclu avec le mécène.

Dans les délais prévus par le Code des Usagers Culturels, le 22 mars 2024, sous entête « Verviers Musées », une lettre informe la L.U.C. que le Collège Communal en sa séance du 21 mars 2024 prend en compte sa plainte et lui donne raison. La tarification va être réaménagée. Le musée sera accessible au public, à titre gratuit, au moins deux fois par semaine, dès le 15 avril 2024.

Pas pour travailleurs et étudiants

Cette décision respecte-t-elle l’esprit de l’accord conclu avec Jean Simon Renier?
En tous les cas, le nouvel horaire prévu « deux fois par semaine »  est un camouflet pour la population active (travailleurs, étudiants) car ils n’y auront plus accès.
D’autre part, une nouvelle mesure complémentaire désormais officialisée pour y avoir accès (et pas prévue explicitement dans l’accord avec le mécène) empêche toute visite spontanée du public et contraint le futur visiteur à communiquer ses coordonnées à l’institution.

Quel est donc cet horaire proposé par la « Commission administrative des musées » et décidé ensuite par le Collège Communal? Désormais, le musée sera gratuit les lundis et mardis (non fériés) de 10H à 12H sur réservation préalable 15 jours à l’avance via l’e-guichet de la ville.

Est-ce ainsi que cette institution développera le nombre des visites, ce qui pourrait lui permettre peut-être de prétendre à des aides publiques plus importantes?

L’autre élément interpellant au niveau économique, c’est que les deux nouveaux jours sélectionnés pour cette « gratuité pour tous » sont les lundis et les mardis alors que dans l’horaire habituel, ces jours-là, le musée est fermé. Donc, ce sont autant de nouvelles heures de travail pour des gardiens, ce qui est un sacré budget, à moins que les décideurs ne se soient dit que l’obligation de réserver deux semaines à l’avance serait dissuasive au point que la population ne se déplacerait pas, la porte d’entrée du musée resterait close, d’où l’absence de personnel accueillant, et autant de tickets gratuits non accordés. Bref, organiser de façon machiavélique deux fois deux heures de gratuité hebdomadaire pour qu’elles soient un bide.

La façade du musée.

Un beau souvenir

Documentation: à quoi ressemblait ce musée avant les inondations, et à une époque où il respectait mieux son public?

http://www.consoloisirs.be/dimanches/090503.html

À l’époque, cette institution aimait aussi beaucoup la gratuité du premier dimanche. Et à un point tel qu’elle mettait en exergue, ce jour-là, mois après mois, une œuvre différente.
Deux années de suite, la ville publia même un calendrier destiné à la population avec les photos de ces douze œuvres particulièrement célébrées. Magnifique!

Bravo !

À l’occasion de cette plainte, à la demande de la L.U.C., le Musée a rajouté sur son site le lien vers internet qui permet au public de découvrir les 15 points du Code des Usagers Culturels :
https://musees.verviers.be/les-informations-pratiques

Ce texte est également affiché à l’entrée et à la sortie du musée et des exemplaires papier sont à disposition des visiteurs, sur demande auprès des agents d’accueil (voir deux photos). 

Pour ramener chez vous le texte de vos 15 droits, il suffit de le demander à l’agent d’accueil du musée des Beaux-Arts de Verviers.