jeudi 17 novembre 2022

Notre Banque Nationale préfère l’anglais ?

Voici, en quatre étapes, le suivi d’une plainte de La Ligue des Usagers Culturels concernant principalement l’usage des langues dans une exposition d’Art Contemporain de la Banque Nationale de Belgique se déroulant à Bruxelles :
https://www.nbb-expo.be/index_fr.html#location

Outre l’intérêt du sujet lui-même, le présent article mérite votre lecture car il démontre, une fois de plus, comment certains préfèrent répondre globalement à vos questions, ce qui pour conséquence l’omission de leur avis sur tel ou tel sujet précis.
Il convient alors de persister et de reposer les questions non traitées.
La détermination est une vertu quasi obligatoire lorsque les usagers culturels veulent aborder des débats nouveaux qui les concernent directement.
Et celle-ci, bien souvent, porte ses fruits.


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1 : plainte de la L.U.C. (10 septembre 2022)

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À l’attention de Madame Anne Bambynek, Conservatrice de la Collection d’Art Contemporain de la Banque Nationale de Belgique:

La Banque Nationale de Belgique est un service public fédéral et est donc soumise aux règlementations linguistiques qui ne sont pas du tout respectées, ni dans l’organisation autour de l’exposition « (Un)Common Values », ni dans son parcours lui-même.

AUTOUR DE L’EXPOSITION

A - L’exposition « (Un)Common Values » de la Banque Nationale de Belgique se déroule à Bruxelles, capitale où les langues officielles sont le néerlandais et le français (bien sûr, d’autres langues en plus sont souhaitables, mais de façon facultative), avec la collaboration notamment de Visit.Brussels.

B - Le titre de l’exposition est uniquement en anglais et il s’agit d’un jeu de mots que ne peuvent comprendre que les personnes qui maîtrisent bien cette langue.
Or, il ne s’agit pas d’une activité réservée à un public spécialisé puisque l’affichage est massif dans les rues de Bruxelles. La majorité de ses habitants est-elle ainsi prise en compte?

C - Tous les textes de l’affiche sont en anglais uniquement.

D - Le catalogue de l’exposition consacre ses 76 pages aux illustrations et à des textes en anglais: présentation des œuvres et autres rédactionnels.
Ensuite, la fin de ce livret, sur 18 pages, est dédié aux traductions dans les trois autres langues (néerlandais, français et espagnol, soit environ 6 pages par langue).
Ces pages sont imprimées en tout petits caractères blancs sur fond noir et sans illustration.  

E - Le dépliant promotionnel propose des textes de présentation en quatre langues, mais les renseignements techniques n’y sont proposés qu’en anglais… avec un détail étonnant : les visites guidées prévues en français y sont annoncées uniquement en anglais : « GUIDED TOURS : In French by Arkadia ».
Les présentations en néerlandais, français, anglais et espagnol proposent, chacune, une photo et un texte conséquent. Nous supposons donc que vous aviez l’intention notamment grâce à sa diffusion d’accueillir des visiteurs qui parlent ces diverses langues. Il conviendrait donc de tenir compte du fait que probablement une partie non négligeable d’entre eux ne sont pas polyglottes.

LE PARCOURS DE L’EXPOSITION

F - L’exposition elle-même met en évidence par différents moyens l’anglais.
Les visiteurs qui parlent les trois autres langues, s’ils ne disposent pas de téléphone ou n’ont pas accès à internet, sont largement défavorisés au cours de leur visite.

G - Or, un public important pense qu’une exposition d’art contemporain ne se visite pas sans un minimum de contextualisation. Pour nombre des œuvres présentées, il est indispensable pour le visiteur de connaître les intentions de l’artiste.

H - La personne du gardiennage qui nous a accueilli nous a indiqué que quelques évolutions d’ordre chirurgical avaient été apportées, après les débuts de l’accès de l’exposition au public car de nombreux visiteurs s’étaient irrités de cette façon de procéder.

I - Concrètement, les cartels dans le parcours de l’exposition ne sont proposés qu’en anglais.

J - À côté de chaque œuvre exposée et de son cartel, il y a un QR code qui mène à des informations détaillées mais exclusivement en anglais.

K - À l’entrée de chacune des trois sections de l’exposition, un autre QR code renvoie à la même présentation de toutes les œuvres, uniquement en anglais.

L - Sur les murs eux-mêmes de l’exposition, le panneau de l’introduction générale qui accueille le visiteur est uniquement en anglais. De plus, dans chaque section, l’explication globale de chacune d’elle est imprimée en grand sur les murs également uniquement en anglais.  

M - Des feuilles de papier, déposées peut-être suite aux réclamations dans chaque salle, proposent effectivement des traductions, mais ceci n’a pas du tout l’impact des affichages sur les murs qui ont le monopole de l’anglais et ne proposant pas le détail de chaque œuvre.

NOS CINQ QUESTIONS

1 : La conception initiale de l’exposition (avant un début de prise en compte des multiples réclamations), en ce qui concerne les langues utilisées, correspond-elle à la façon habituelle de la Banque Nationale de Belgique de respecter les participants à ses activités culturelles?

2 : Êtes-vous d’accord sur le fait que les langues officielles à Bruxelles où vous avez organisé un important affichage sont le néerlandais et le français? (bien sûr, d’autres langues utilisées en plus sont les bienvenues mais sont de l’ordre du facultatif).
Comptez-vous tenir compte de ce fait lors de vos activités ultérieures?

3 : Êtes-vous décidée à tenir compte, lors de la mise en place de vos prochaines activités, que vos futurs visiteurs sans téléphone ou n’ayant pas droit à internet ont droit à connaître les mêmes informations que celles que vous fournissez au reste du public que vous y accueillez?

4 : Si vous maintenez votre volonté de privilégier à ce point la langue anglaise, se pose une autre question qui concerne le respect de votre public potentiel.
Puisque vous tentez d’attirer les publics néerlandophones, francophones et hispanophones par le biais d’un dépliant multilingue, ne considérez-vous pas alors qu’il faudrait y indiquer clairement et dans les diverses langues que l’accueil (cartels, textes sur les murs, QR code) est prévu principalement en anglais dans le parcours de l’exposition?

5 : À l’inverse des institutions scientifiques et des musées fédéraux, votre site internet n’indique pas clairement comment le public peut réagir si les réponses que vous donnez à leurs plaintes ne les satisfont pas.
Dans ce cas-là, il peut, dans un deuxième temps, contacter le Médiateur Fédéral. Les autres institutions fédérales signalent ce fait très clairement et communiquent l’adresse à utiliser.
Pourriez-vous ajouter cette information sur votre site?

Dans l’attente de découvrir vos remarques et vos réponses détaillée à chacune de nos cinq questions, nous vous prions d’agréer l’expression de nos sentiments les plus distingués.


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2 : Première réponse de la Conservatrice (20 septembre 2022)

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Monsieur, je tiens à vous remercier sincèrement pour votre intérêt dans notre exposition. Dans votre message du 10 septembre dernier, vous nous avez fait part de votre inquiétude sur le maintien de l’équilibre entre l’anglais et les langues officielles de la Belgique dans le cadre de l’exposition.

Nous comprenons votre préoccupation. Une des raisons pour lesquelles l’anglais est particulièrement présent est en partie justifié par le fait que cette exposition consiste en une collaboration internationale entre deux banques centrales de l’Eurosystème. Il n’en demeure pas moins que la Banque nationale, en tant qu’institution belge, a estimé important, dès le début de la conception de l’exposition, de fournir les textes principaux également dans les langues officielles de notre capitale : le français et le néerlandais. Comme vous le relevez à juste titre, certaines de ces traductions n’ont pas été présentées, d’un point de vue visuel (et d’accessibilité), de la même manière que les textes anglais.

Il importe pour la Banque nationale de Belgique d’être accessible et disponible pour tous les citoyens. Il nous tient donc à cœur d’utiliser correctement les langues nationales et de les mettre en avant de manière équilibrée. L’exposition à laquelle vous faites référence s’est clôturée ce week-end. Il ne nous est dès lors plus possible de mettre en œuvre vos recommandations pour cette exposition, mais nous avons bien pris note de vos remarques et nous ferons notre possible pour offrir un meilleur équilibre dans l’utilisation des langues et dans la visualisation de celles-ci dans les espaces d’exposition lors de nos prochaines initiatives culturelles.

J’espère sincèrement vous avoir donné une réponse satisfaisante et je reste à votre disposition pour toute question ou besoin de clarification supplémentaire.


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3 : Réplique de la L.U.C. (21 septembre 2022)

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Chère Madame, nous avons lu avec grand intérêt vos réponses à nos deux premières questions. Il nous semble que vous pourriez être plus précise concernant les trois dernières questions. Nous vous remercions de nous avoir indiqué que vous restiez à notre disposition pour toute question ou besoin de clarification supplémentaire. Nous nous permettons donc de vous reformuler ici nos questions 3 à 5 en attendant vos réponses plus précises.

À propos de la question 3 : Êtes-vous décidée à tenir compte, lors de la mise en place de vos prochaines activités, que vos futurs visiteurs sans téléphone ou n’ayant pas droit à internet ont droit à connaître les mêmes informations que celles que vous fournissez au reste du public que vous y accueillez?
À propos de la question 4 : Si vous maintenez votre volonté de privilégier à ce point la langue anglaise, se pose une autre question qui concerne le respect de votre public potentiel.

Puisque vous tentez d’attirer les publics néerlandophones, francophones et hispanophones par le biais d’un dépliant multilingue, ne considérez-vous pas alors qu’il faudrait y indiquer clairement et dans les diverses langues que l’accueil (cartels, textes sur les murs, QR code) est prévu principalement en anglais dans le parcours de l’exposition?

Il s’agit donc ici, pour la présente exposition terminée,  mais surtout pour vos initiatives prochaines, de s’interroger sur les droits du public à être informé correctement avant qu’il ne se décide à vous rendre visite.

Voici, pour être encore plus précis, des extraits d’une plainte adressée le 21 août 2012 au musée de L’Hermitage d’Amsterdam. VOIR ANNEXE.

À propos de la question 5 : À l’inverse des institutions scientifiques et des musées fédéraux, votre site internet n’indique pas clairement comment le public peut réagir si les réponses que vous donnez à leurs plaintes ne les satisfont pas. Dans ce cas-là, il peut, dans un deuxième temps, contacter le Médiateur Fédéral. Les autres institutions fédérales signalent ce fait très clairement et communiquent l’adresse à utiliser.
Pourriez-vous ajouter cette information sur votre site?

Veuillez agréer, Madame la Conservatrice, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

ANNEXE
Voici des extraits d’une plainte sur une thématique assez proche adressée par courriel le 21 août 2012 au musée de L’Hermitage d’Amsterdam.

«  (…) Votre musée s’intéresse au public francophone et pense pouvoir le capter puisqu’il diffuse un dépliant de présentation dans cette langue. D’autre part, il a également conçu une version en français pour l’audioguide (dont la location coûte au visiteur 4 euros, en plus du droit d’entrée à 15 euros).

Il ne suffit pas d’attirer des visiteurs, il convient aussi de bien les accueillir et de leur faciliter la tâche dans la compréhension de l’exposition.

Mais... à l’inverse d’autres langues comme le néerlandais, l’anglais, etc., qui disposent également de dépliants et d’audioguides spécifiques, le français n’est pas utilisé dans vos cartels, c'est-à-dire les panneaux qui commentent les différentes œuvres exposées dans votre exposition « Impressionism".

Ne trouvez-vous pas qu’une des nombreuses informations utiles dont le public devrait pouvoir disposer avant d’acheter son ticket serait ici, en l’occurrence, de savoir dans quelles langues sont traduits les cartels de l’exposition?

Cela ne vous coûtera aucun euro de le mentionner dans vos dépliants, sur votre site internet et sur un panneau indicatif au comptoir dans l’entrée du musée.

Cette information préalable à l’achat du ticket ne vous semble-t-elle pas un nouveau droit sur lequel devrait pouvoir compter vos visiteurs? ».

 
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4 : Deuxième réponse de la Conservatrice (29 septembre 2022)

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Monsieur, nous vous invitons à prendre connaissance ci-dessous des éclaircissements que nous apportons à vos autres questions.

Question n° 3 : Notre ambition était et restera toujours de fournir au grand public suffisamment d’informations générales et utiles concernant nos activités culturelles. Lors de l’exposition qui vient de se clôturer, cet objectif a été atteint grâce à la mise à la disposition du public d’un catalogue exhaustif (gratuit) et à l’affichage sur les murs de textes explicatifs. Le fait de proposer un complément d’informations facultatif par la voie de codes QR, qui est un équivalent gratuit et très accessible aux audio-guides souvent fournis contre paiement par d’autres musées, ne signifie en rien que nous tentons sciemment de priver certains visiteurs d’informations. Il s’agit purement et simplement d’une technique qui permet d’assurer un équilibre entre, d’une part, les informations essentielles qui sont fournies clairement (et gracieusement) et, d’autre part, des renseignements contextuels complémentaires qui ne sont pas suffisamment essentiels pour figurer dans le catalogue. Cette technique est largement utilisée dans les musées et les institutions culturelles et nous ne pouvons pas garantir que nous n’y aurons plus recours à l’avenir. Les visiteurs qui ne disposent pas d’un smartphone ou d’une connexion internet ont par ailleurs toujours la possibilité de bénéficier d’une visite guidée tout au long du parcours.

Question n° 4 : Comme vous avez pu le déduire de notre réponse du 20 septembre dernier, nous veillerons, pour l’organisation de nos prochaines activités culturelles, à proposer un meilleur équilibre dans l’utilisation des langues. La prémisse de votre quatrième question (« privilégier la langue anglaise ») n’est donc pas correcte et cette question n’est, de ce fait, pas pertinente.

Question n° 5 : Le Médiateur fédéral est – conformément au mandat créé à cet effet par la loi du 22 mars 1995 – compétent pour examiner les réclamations visant le fonctionnement des services publics fédéraux (SPF). La Banque nationale de Belgique n’est pas un service public fédéral mais est une banque centrale indépendante dotée du statut de société anonyme. À ce titre, le Médiateur fédéral n’a aucune compétence d’arbitrage sur elle. Voilà pourquoi aucune référence à ce dernier ne figure sur notre site internet. Il n’en demeure pas moins que les plaintes et les suggestions qui sont adressées à la Banque nationale de Belgique retiennent toute son attention. Preuve en est que nous prenons le temps d’apporter une réponse complète et motivée à vos doléances.

Nous pensons avoir ainsi répondu de manière exhaustive à toutes vos questions.