mardi 17 novembre 2020

BOZAR n’aime pas beaucoup les chômeurs

 

La façade de BOZAR en plein confinement (novembre 2020)


Depuis plusieurs années, pour ses expositions, BOZAR (Palais des Beaux-Arts de Belgique) pratiquait l’entrée à 2 euros tous les mercredis pour deux catégories de visiteurs: les moins de 30 ans et les demandeurs d’emplois.

Le 6 décembre 2019, avec le démarrage de la rétrospective consacrée à Keith Haring, la tarification a évolué: cet avantage a été maintenu pour les moins de 30 ans, mais supprimé pour les demandeurs d’emploi, et ce, sans aucune explication du pourquoi au public.

Pour nous, la démocratisation culturelle exige, pour ne pas rester théorique, que le public soit informé de l’évolution du fonctionnement économique des institutions. Les usagers doivent être mis au courant des raisons pour lesquelles des réductions et des gratuités sont octroyées ou supprimées à telle ou telle catégorie d’entre-eux.

 

Traitement différent pour les chômeurs et les moins de 30 ans

Complémentairement, était également proposé un tarif réduit applicable tous les jours pour tous les demandeurs d’emploi.

Celui-ci a également évolué. Il s’est précisé dans sa formulation, ce qui en limite l’usage pour certains.

Le 6 novembre 2020, Barbara Porteman, responsable au service de presse, répond à notre demande d’information, à ce sujet: «La recherche d’emploi «tout court» n’est en effet plus un tarif réduit. Nous appliquons désormais l’intervention majorée. Cela concerne les retraités, les invalides, les demandeurs d’emploi,… Les personnes qui bénéficient d’une allocation augmentée grâce à leur mutualité bénéficient toujours d’une réduction chez nous. Il s’agit de 50%. Les demandeurs d’emploi qui ne sont pas en situation de «pauvreté», et qui n’ont donc pas de formulaire de leur caisse d’assurance maladie, ne bénéficient pas d’une réduction».

Quant à l’évolution du tarif des mercredis à 2 euros pour les moins de 30 ans et les demandeurs d’emploi?

Barbara Porteman: «Il n’est valable que pour les moins 30 ans. La direction a pris cette décision pour éviter les réductions cumulatives».

Effectivement, pas cumulative pour les demandeurs d’emploi… mais, au contraire, bien cumulative pour les moins de 30 ans puisqu’ils ont droit, et au mercredi à 2 euros, et à une réduction quotidienne de 50% sur le tarif plein: https://www.bozar.be/fr/static-pages/120950-tickets-tarifs-reductions

Voilà donc un exemple concret récent de plus pour inciter le gouvernement fédéral Vivaldi à demander à Thomas Dermine (pour les institutions scientifiques), Sophie Wilmès (pour BOZAR notamment) et Ludivine Dedonder (pour le Musée de l’Armée) de préparer, de concert, un Code de bonne conduite en faveur des usagers qui fréquentent toutes nos institutions culturelles et scientifiques au niveau fédéral.

Au fil des années, on constate à plusieurs reprises que les demandeurs d’emploi étaient la cible de petites discriminations organisées par ce vaisseau culturel bruxellois.

Dans un article publié dans Le Ligueur (l’hebdo de La Ligue des Familles) daté du 28 janvier 2004 (http://www.consoloisirs.be/articles/leligueur/057.html), on découvre, à propos de deux expositions d’Europalia Italie («Une Renaissance singulière» et «Vénus dévoilée») que: «Les tarifications affichées aux guichets indiquent des réductions pour les seniors et pour les étudiants. La réduction pour les chômeurs n’y figure pas et, pourtant, elle est annoncée dans les dépliants. Pensant qu’une tarification est par nature exhaustive, combien de chômeurs pudiques n’auront même pas demandé si leur statut leur donnait droit à un avantage financier. Contactés, les organisateurs ont reconnu leur erreur. Le courriel de la plainte a été envoyé le 24 décembre 2003. Les tarifications plus conformes (de simples photocopies) ont été affichées le 14 janvier 2004. Entretemps, plusieurs rappels furent nécessaires. L’obstination paie!».

Il faut savoir que la responsable des relations extérieures avait indiqué dans un e-mail envoyé dès le 8 janvier 2004 qu’elle allait procéder à la rectification. Cinq jours plus tard, à aucun des trois points de vente du musée, la tarification avec sa version chômeurs-admis n’a été affichée, à l’inverse de feuillets annonçant la prolongation de ces expositions… Ce fait fut fermement signalé à l’institution, le 13 janvier 2004. La situation évoluera enfin favorablement, et se règlera en moins de 24 heures.

Acte manqué? Au fil des années, BOZAR a vraiment des difficultés à communiquer sur cette gratuité spécifique.

Plus récemment, lorsque l’institution lança sa réduction à 2 euros pour l’entrée de ses expositions, chaque mercredi, à destination des jeunes et des chômeurs, elle en fit une promotion qui ne mentionnait pas ces derniers, et il a fallu batailler ferme et longtemps pour qu’il y ait une évolution, hélas pas celle souhaitée: l’arrêt pur et simple de cette promo au lieu d’une annonce analogue avec la mention des deux types de bénéficiaires.

Pour la com, c’est peut-être plus frappant de mettre en avant une seule catégorie de visiteurs et de choisir la jeunesse, mais n’attend-on pas d’un organe culturel fortement subsidié qu’il respecte tout le public en l’informant de façon exhaustive de ses devoirs, droits et avantages?

 

Également aux MRBAB

BOZAR n’a pas le monopole. Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) actuellement dirigés par Michel Draguet ont eux aussi, au fil des années, joué au yoyo avec la gratuité/réduction des chômeurs, ou pas; médiatisée, ou pas.

La création d’un Code pour les usagers serait d’autant plus important que certaines directions semblent bien peu se préoccuper des droits des usagers. En voici un exemple concret assez étonnant, toujours à propos des chômeurs.

Au cours d’un entretien réalisé en novembre 2003, s’est déroulé un fait assez inattendu et qui nous semble significatif. Pour répondre aux questions du Ligueur, Helena Bussers, la conservatrice en chef faisant fonction aux MRBAB, entourée de ses collaborateurs: Thérèse Marlier, attachée de presse, et Régis Hespel, le responsable de la sécurité, du personnel technique et des chantiers.

Cet entretien était réalisé par celui qui deviendra bien plus tard le président de la L.U.C. Bernard Hennebert : «   (…) Pour valoriser son institution que j’égratignais sur différents points, Madame Bussers me déclare tout de go qu’elle tenait beaucoup au fait que les chômeurs aient droit à entrer gratuitement dans les musées dont elle a la charge: «C’est normal pour ces gens pour qui toutes les portes se ferment. Qu’on ouvre les nôtres! C’est l’aspect service public des musées. Qu’un maximum de gens s’y sentent bien».

Me voilà alors sans voix. J’hésite même un instant à mettre mon interlocutrice face à la réalité des faits. Finalement, j’explique: ces deux «gratuités» (car le même avantage est également accordé aux personnes handicapées) ont été supprimées quelques mois plus tôt et remplacées par une réduction à 2€, mesure imposée aux musées par un arrêté du ministre Charles Picqué (PS). Aucun des trois représentants des MRBAB présents à cet entretien ne me croit et, finalement, l’un d’eux téléphone à une autre responsable de leur équipe qui confirme mes dires.

Découvrant ainsi cette évolution, mon interviewée m’annonce derechef qu’elle va tout mettre en œuvre pour tenter de la modifier. Mme Bussers sera également étonnée d’apprendre de ma bouche que la présentation de la tarification au guichet principal a été changée. Jusqu’il y a peu, un panneau indiquait toutes les réductions et gratuités dont celles des chômeurs et personnes handicapées. Avec l’évolution récente de la tarification, il a fallu revoir l’affichage. Désormais, le panneau n’indique plus que des prix sans expliquer à quoi ils correspondent: 5 €, 3 €, 5 € et 2 €. À quoi servent donc ces réductions si elles ne sont pas clairement précisées où l’on s’acquitte de son droit d’entrée?

Mon interlocutrice prend alors l’initiative de me déclarer qu’elle va revoir cette tarification afin qu’elle soit affichée de manière exhaustive:«…Même si cela ne sera pas facile car il faut le faire en quatre langues! (…) ».

Pour la direction du musée, les évolutions des conditions d’entrée des visiteurs constituent-elles une priorité?

Supprimer des «gratuités» est pourtant une mesure qui se décide rarement

Voici l’article où l'on retrouvera l’entièreté de cet entretien avec la direction des MRBAB: http://www.consoloisirs.be/articles/leligueur/052.html