La chaîne LN24 a capté en direct le moment où Thomas Dermine (PS), le nouveau ministre qui s’occupe notamment des musées fédéraux, prête serment devant le Roi. |
Le ministre David Clarinval (MR), ministre de la politique scientifique, s’est positionné sur le fait que quasi deux tiers des institutions fédérales n’appliquent plus la demi-journée mensuelle de « gratuité pour tous » du premier mercredi du mois.
Il a répondu, le 8 septembre 2020, sur ce sujet, à l’interpellation de La Ligue des Usagers Culturels.
D’autre part, il a réagi, également par écrit, le 29 septembre 2020, aux questions posées par les députés fédéraux Séverine de Laveleye (Écolo-Groen) et Jean-Marc Delizée (PS).
Ses réponses sont quasi identiques et suscitent nos réactions suivantes qui, nous l’espérons, seront prises en compte par son successeur, Thomas Dermine (PS).
Voici le texte de notre alerte « Musées fédéraux: vers la fin de la gratuité mensuelle? »:
Les quatre réponses du ministre
1 : Le ministre Clarinval justifie ainsi l’arrêt de la gratuité mensuelle notamment au Musée des Sciences Naturelles : « Cette décision a été prise en raison du contexte sanitaire. Elle vise à éviter l’afflux massif de visiteurs que cette gratuité entraîne habituellement et ainsi garantir le strict respect des mesures sanitaires, dont la distanciation sociale, dans l’intérêt de l’ensemble des visiteurs ».
Notre réaction :
Bien entendu, La Ligue des Usagers Culturels ne peut admettre qu’une gratuité mensuelle pour tous ait pour conséquence, vu sa réussite, un afflux trop grand de visiteurs.
Cet argument nous a déjà été fourni par les musées pour ne pas envisager une gratuité le premier dimanche au lieu du premier mercredi du mois. Nous leur avons toujours répondu : il suffit de permettre, ce jour-là, la réservation, comme vous l’organisez les autres jours. Généralement, face à cette réponse, les musées se mettent à parler d’autre chose…
La réaction du Musée des Sciences Naturelles nous semble d’autant plus absurde que justement, dans cette période de crise sanitaire, la réservation est devenue le plus souvent obligatoire. Le public s’y habitue. Il suffit de l’appliquer à la gratuité mensuelle pour tous.
Apparemment, on ne réfléchit et on n’argumente pas de la même façon quand on est un représentant du peuple ou un usager culturel.
Pourquoi pour éviter l’afflux massif de visiteurs n’insisterait-il pas justement sur le maintien par toutes les institutions de cette gratuité plutôt que d’accepter de rassembler le public intéressé par cette aubaine seulement dans un nombre minimum de lieux, cinq au lieu de douze (en ne comptant pas dans ce chiffre les musées d’Extrême-Orient et le musée des Instruments de musique, en restauration)?
2 : Le ministre Clarinval explique : « Pour le Musée royal de l'Afrique centrale, il a été décidé, en décembre 2018 lors de sa réouverture, de réduire la proportion d'entrées gratuites et d'entrées à tarif réduit mais de maintenir le prix du billet d'entrée à un niveau bas. Dans le même temps, il a été décidé d'offrir à tous les jeunes jusqu'à 18 ans la gratuité du musée ».
Notre réaction :
- A : Si l’on compare la tarification en 2020 de ce musée avec celle du Musée Magritte, on découvre que ce fameux « billet d’entrée à un niveau bas » est au contraire à un niveau plus élevé : 12 euros alors que le ticket du Musée Magritte est fixé à 10 euros. Cela ne peut donc nullement justifier l’arrêt de la gratuité mensuelle (que d’ailleurs le Musée Magritte continue d’appliquer). Il faudra donc essayer de trouver une autre justification plus plausible!
Quant aux gratuités pour les jeunes, ce n’est pas une particularité du Musée royal de l'Afrique centrale : c’est une évolution récente appliquée dans de nombreux musées belges. Constatons que les musées de la ville de Liège sont bien plus courageux car ils accordent cette gratuité aux moins de 26 ans sans pour autant supprimer leur gratuité pour tous de la journée entière du « premier dimanche du mois ».
- B : Dans la plupart des musées , il y a deux catégories d’avantages : d’une part, des gratuités pour tous (que peuvent également utiliser les publics fragilisés) et, d’autre part, des gratuités ou réductions pour des public précis.
Il nous semble inapproprié de justifier la suppression d’un avantage réservé à la première catégorie par le maintien de la seconde catégorie.
Le panneau de la tarification du Musée royal de l'Afrique centrale. |
3 : Le ministre Clarinval poursuit, à propos des MRBAB (le musée Magritte, le musée d’Art Ancien, le musée Fin de Siècle) : « Enfin, pour les MRBAB, ils ont maintenu la gratuité du premier mercredi après-midi du mois. Ils me signalent toutefois que la crise du Covid a fortement réduit leurs revenus en 2020 et que, dans ce contexte, le maintien de cette mesure de gratuité ne contribue évidemment pas à améliorer la situation financière de l’institution ».
Notre réaction :
L’argent est le nerf de la guerre. C’est souvent le prétexte pour justifier la suppression d’un droit du public (la gratuité mensuelle existe depuis 23 ans et elle a été mise en place comme contre partie à la suppression de la gratuité quotidienne des fonds permanents).
Constatons qu’il y a d’autres gratuités qui coûtent bien chères qui, elles, ne sont jamais remises en question: les vernissages bien arrosés, par exemple.
Si la gratuité mensuelle pour tous constitue, bien sûr, un manque à gagner en terme d’entrées, elles peuvent aussi rapporter. Bizarre ici le silence sur les bénéfices, ces jour-là, des shops et des bars ou restaurants. Le plus grand musée privé wallon, le musée Hergé de Louvain-la-Neuve, a pris l’initiative de pratiquer la gratuité du premier dimanche justement pour ces raisons-là.
Il est quand même étonnant que le ministre Clarinval ne réagisse pas à cet extrait de notre carte blanche: « On oublie les tirelires ? (Pour qu’on) n’égratigne pas l’économie fragile de nos musées, il conviendrait notamment de développer le projet de la tirelire. Celle-ci est proposée à la sortie des activités gratuites, comme le font notamment la quinzaine de musées gratuits (tous les jours) de la ville de Paris dont le célèbre Musée d’Art moderne.
À Gand, une enquête réalisée au Smak, le Musée municipal d’Art actuel, a montré que les montants récoltés par ces dons dépassaient la somme des tickets tarifés à leur prix moyen. Le public donne un euro de plus si la tirelire est placée à la sortie plutôt qu’à l’entrée. Les visiteurs sont plus généreux pendant les week-ends ».
Il y a bien d’autres retombées économiques positives aux « gratuités mensuelles pour tous ». Nous sommes prêts à participer à pareille réflexion.
N’oublions pas que quelques musées traitent plutôt mal cette gratuité. Il faut faire preuve de bonne volonté et d’imagination. Ce n’est pas toujours le cas.
Dans la même carte blanche nous écrivions : « Promouvoir une gratuité est capital puisque l’une des raisons invoquées pour leur instauration est la recherche de nouveaux publics. La gratuité concurrente, celle du "premier dimanche du mois" qui est pratiquée par 150 musées belges, l’a assimilée : un site internet et une newsletter mensuelle touchant des dizaines de milliers de visiteurs potentiels, une brochure annuelle d’une cinquantaine de pages insérée dans la presse et diffusée en bibliothèques et salles d’attente de médecins, etc. Rien de semblable au fédéral, où on en vient même jusqu’à oublier un geste qui coûte zéro euro : l’indiquer dans les dépliants de présentation. Par exemple, celui du Musée Magritte qui fut diffusé à plus de 500 000 exemplaires ».
4 : Enfin, le ministre Clarinval annonce la constitution d'un groupe de travail sur la gratuité des musées afin « d'objectiver la réflexion à ce sujet ».
Notre réaction :
Voilà une décision qui sera reprise, espérons-le, par le nouveau ministre Thomas Dermine.
On se demande bien qui fera partie de ce groupe de travail et comment seront définis ses objectifs… Et comment les visiteurs y seront représentés?
Annexe :
La réponse du 29/09/2020 aux deux députés du ministre David Clarinval (MR), ministre de la politique scientifique.
Madame de Laveleye,
Monsieur Delizée,
Ayant reçu plusieurs questions concernant la politique de gratuité des musées fédéraux, je me permets d’y apporter une réponse commune. Nous allons donc faire le point sur la situation dans les différents établissements scientifiques fédéraux (ESF) suivants :
- L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique
- Les Musées royaux d'Art et Histoire
- Le Musée royal de l'Afrique centrale
- Le KBR museum
- Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Concernant L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, il a, en effet, temporairement suspendu la gratuité du premier mercredi du mois dès 13h depuis sa réouverture le 19 mai. Cette information a été communiquée via la page d’accueil de son site internet.
Il s’agit d’une mesure prise dans le cadre de l’autonomie de gestion de l’Institut. Cette décision a été prise en raison du contexte sanitaire. Elle vise à éviter l'afflux massif de visiteurs que cette gratuité entraîne habituellement et ainsi garantir le strict respect des mesures sanitaires, dont la distanciation sociale, dans l’intérêt de l’ensemble des visiteurs.
En effet, leur parcours de réouverture est conçu pour des petits groupes de 5 personnes maximum. La réintroduction de la gratuité entraînerait la réservation de tickets par des groupes plus importants, ce qui pourrait retarder sérieusement la durée de la visite, fixée à 2 heures maximum. Par ailleurs, cela rendrait le respect des mesures de distanciation sociale difficile.
Dès lors, la gratuité des premiers mercredis du mois est actuellement suspendue. Pour cette même raison, le musée n'organise actuellement pas de visites guidées pour les groupes.
En outre, il convient de préciser que toutes les autres gratuités ont été maintenues et que l'exposition temporaire a été intégrée au parcours de réouverture sans aucun supplément de prix.
Les Musées royaux d'Art et Histoire ont également décidé de suspendre l'entrée gratuite le premier mercredi après-midi du mois en raison du contexte sanitaire. Il s'agit, là encore, d'une mesure temporaire prise afin de garantir la distanciation sociale.
En ce qui concerne le Musée royal de l'Afrique centrale, la décision de mettre fin à la gratuité le premier mercredi après-midi du mois date de sa réouverture en décembre 2018. Dans le même temps, il a été décidé de maintenir le prix du billet d’entrée à un niveau bas. Le musée travaille également avec une politique de groupes cibles. Il accorde ainsi l’entrée gratuite aux jeunes de moins de18 ans. Par ailleurs, sous certaines conditions, des taux très fortement réduits sont pratiqués pour les groupes socialement plus défavorisés.
Comme vous le savez, le KBR museum a ouvert ses portes le 18 septembre 2020 et ne pratique pas la politique de gratuité du mercredi après-midi. Plutôt qu'une règle "générale", l’établissement a opté pour une politique de prix dans laquelle l'entrée est gratuite pour certains groupes cibles. Par exemple, le musée sera accessible gratuitement et en permanence aux moins de 18 ans, aux personnes handicapées (+1 accompagnateur), aux demandeurs d'emploi et aux enseignants. Il est également possible de visiter le musée de la KBR avec une carte ICOM et un pass pour le musée.
Enfin, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ont maintenu la gratuité du premier mercredi après-midi du mois. Ils signalent toutefois que la crise du Covid-19 a fortement réduit leurs revenus en 2020 et qu’il est certain que, dans ce contexte, le maintien de cette gratuité ne contribue pas à améliorer la situation financière de l’institution.
De manière plus générale, je suis pour un accès le plus large possible aux collections fédérales. De même, je suis favorable à toutes initiatives qui permettent de donner goût à la culture au plus grand nombre et de la rendre accessible au public le plus vaste possible. La gratuité participe bien entendu à cela.
Toutefois, les réalités financières des établissements scientifiques fédéraux doivent être prises en compte. La crise du Covid-19 a sérieusement impacté les musées. Leur taux de fréquentation a drastiquement chuté et certains sont désormais dans une situation budgétaire très précaire.
Comme ministre fédéral chargé de la Politique scientifique, cela me préoccupe énormément. C’est notamment pour les aider que j’ai autorisé certains projets d’investissement, ou le recours aux recettes historiques.
L’avenir de la gratuité ne peut donc être réfléchi seul, il faut l’englober dans une réflexion d’ensemble sur la meilleure façon d’aider nos musées à retrouver un nouveau souffle. Il est important de trouver un juste équilibre entre la santé financière de nos ESF et la poursuite d’une politique d’ouverture de la culture au plus grand nombre.
Un groupe de travail va d’ailleurs être lancé pour objectiver la question de la gratuité, sur base de données concrètes. Ses résultats devront nourrir une réflexion d’ensemble.