mercredi 30 septembre 2020

Fin d’une «gratuité mensuelle? » (suite)

La Ligue des Usagers Culturels (L.U.C.) a dénoncé, le 3 septembre 2020, sur ce blog le fait que les musées fédéraux détricotaient progressivement leur « gratuité du premier dimanche du mois », un droit des visiteurs né il y a déjà 23 ans : http://la-luc.blogspot.com/2020/09/plus-que-6-sur-14-musees-federaux.html

Cette information n’est pas passée inaperçue, d’autant plus que La Libre Belgique a publié la «carte blanche» du président de la L.U.C., sur 1 page 1/2, dans son édition papier du 14 septembre 2020. 

La « carte blanche » parue le 14 septembre 2020 dans «La Libre Belgique »

Ce texte est également accessible entièrement et gratuitement sur le site du quotidien : https://www.lalibre.be/debats/opinions/musees-federaux-vers-la-fin-de-la-gratuite-mensuelle-5f5e409b9978e2322feb1065?fbclid=IwAR0eDIhQDNxJCZDtuw8yEaSoKWG_OsKzzoK-O98drruBM9YkqNqGf762gJ0


Le ministre concerné par ce problème culturel fédéral, David Clarinval (MR), Chargé de la politique scientifique, a reçu des questions orales sur cette thématique de la part des parlementaires Séverine de Laveleye (Écolo-Groen) et Jean-Marc Delizée (PS). Affaire à suivre. 


Des cochons ? Plutôt de jolies tirelires à placer à la sortie de nos musées lorsqu’ ils pratiquent
 leur « gratuité mensuelle ».



jeudi 3 septembre 2020

Musées fédéraux : vers la fin de leur gratuité mensuelle ?

La KBR (nouvelle appellation de la Bibliothèque royale de Belgique) inaugure son musée au Mont des Arts le 18 septembre 2020 : une «Librairie» qui vulgarise les manuscrits des Ducs de Bourgogne. Hélas, ce sera également le premier musée appartenant à une Institution fédérale qui renie dès son ouverture une « pratique » en faveur des publics qui existe depuis vingt-trois ans : la gratuité «pour tous» du premier mercredi du mois.

https://www.kbr.be/fr/museum/



Le nouveau musée de la KBR qui, d’emblée, refuse de pratiquer sa gratuité mensuelle "pour tous".



Gratuit tous les jours comme à Londres ou Washington


Jadis, Bruxelles ressemblait à Washington ou Londres en cultivant la gratuité quotidienne de ses grands musées. Ce qui permettait notamment à nombre de ses habitants d’y revenir régulièrement, de se familiariser avec telle ou telle oeuvre, de ne pas se sentir obligé de tout voir en une seule visite interminable « parce qu’on avait payé ». C’était le triomphe de la découverte « contemplative » plutôt que celui d’une « course contre la montre-consommation ».

Demeurent payantes bien sûr les expositions temporaires qui proposent au regard des visiteurs surtout des oeuvres prêtées par d’autres institutions muséales. Le fond permanent applique, quant à lui, la gratuité quotidienne parce que beaucoup considèrent que les habitants ne doivent pas « payer deux fois » le patrimoine présenté, celui-ci ayant déjà été acquis avec les financements de l’État.


Le 28 janvier 1997 , le Ministre de la Politique Scientifique Yvan Ylieff (PS) met fin à la gratuité quotidienne et fixe l’entrée plein tarif à 150 FB pour, officiellement, permettre aux institutions muséales fédérales d’élargir leurs sources de financement... afin notamment de recruter des caissiers. Dans la foulée, les dotations annuelles sont réduites de plusieurs millions de francs belges. L’effet de la décision, en terme de fréquentation, sera dévastateur : en quelques années, deux tiers environ du public belge manquera à l’appel, la perte des visiteurs étrangers étant moins conséquente. Pour les Musées d’Art Ancien et Moderne (ce dernier exposant déjà la majorité des oeuvres du Magritte qui intégreront par la suite, en 2009, le nouveau Musée Magritte), on passe de 953.316 visiteurs en 1996 à 306.321 pour l’année 2001. 


Pour tenter de compenser quelque peu cet effet néfaste, les musées fédéraux sont invités par leur autorité de tutelle à mettre en place une gratuité mensuelle destinée à l’ensemble du public dès le mercredi 3 septembre 1997. Il s’agit non pas d’une journée entière, comme cela se passe habituellement dans les autres musées du monde entier, mais d’un « service minimum » : une demi journée, chaque premier mercredi du mois à partir de 13H00, les matinées dès 10H00 restant payantes, probablement avec l’intention d’éviter trop d’entrées gratuites pour le scolaire.

À l’époque, Helena Bussers dont aujourd’hui Michel Draguet assure la succession à la direction des MRBAB (Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique) s’insurgea publiquement contre ce choix, dans un entretien publié par l’hebdomadaire de « La Ligue des Familles » (Le Ligueur) : «Pourquoi le mercredi ? Nous avons reçu des consignes de l’administration. La tradition veut que les enfants étaient en congé le mercredi après-midi. On a peut-être oublié que les adultes qui travaillent en journée visitent aussi les musées! Bien entendu, les retraités peuvent venir mais ils ont déjà droit à des réductions. Ce n’est pas un cadeau, le choix de ce jour. De plus, peu de gens sont au courant de cette gratuité».


La promotion d’une gratuité est capitale puisque souvent l’une des raisons invoquées pour son instauration est la recherche, puis la fidélisation de nouveaux publics. Et si ceux-ci sont pas au courant de la mesure…


La gratuité concurrente, celle du « premier dimanche du mois » qui est pratiquée par 150 musées belges, l’a parfaitement assimilée : un site internet et une newsletter mensuelle touchant des dizaines de milliers de visiteurs potentiels, une brochure d’une cinquantaine de pages insérée une fois par an dans un de nos quotidiens et largement diffusée dans les bibliothèques ou dans les salles d’attente de nos médecins, des fêtes mensuelles de gratuité pour éveiller mois après mois l’intérêt.

https://artsetpublics.be/pole/musees/musees-gratuits/premier-dimanche


Rien de semblable au Fédéral où on en vient même jusqu’à oublier un geste qui coûte zéro euros, l’indiquer dans les dépliants de présentation. Par exemple, celui du Musée Magritte qui fut diffusé à plus de 500.000 d’exemplaires. 


Pour illustrer l’utilité d’informer sur les gratuités mensuelles, sont significatifs les chiffres de fréquentation en 2017 du Musée BELvue, situé à côté du Palais Royal à Bruxelles (donc un lieu de passage intéressant). Pendant cette période où il pratique la gratuité du premier dimanche du mois, 106 visiteurs en moyenne le fréquentent chaque dimanche payant; 419, chaque premier dimanche du mois gratuit, SANS panneau d’annonce; et 636, chaque premier dimanche du mois gratuit AVEC un seul petit panneau d’annonce à l’entrée sur la voie publique.



Avec ce petit panneau blanc qui annoncé le jour même la gratuité du premier dimanche,
le musée BELvue situé à côté du Palais Royal a attiré 200 visiteurs de plus que les autres dimanches gratuits
sans ce petit panneau ! Comme quoi, l’info est utile !

Pour annoncer le tout premier mercredi gratuit, le 28 août 1997, nos journaux quotidiens expliquent de concert que cette mesure est prise «dans le souci de favoriser la visite au musée pour le plus grand nombre». Il n’est donc pas du tout question de s’adresser en particulier aux enfants escortés de leurs grands-parents comme certains voudront le faire croire par la suite. Et cet argument est de nos jours d’autant moins crédible que désormais de nombreux musées belges développent la gratuité quotidienne pour les jeunes : pour les moins de de 16 ans dans les musées fédéraux, les moins de 26 ans dans les musées de la ville de Liège, etc. 


Et « le plus grand nombre » a un goût amère quand on découvre que le jour et l’horaire choisis empêchent de façon discriminatoire plus de la moitié de la population (travailleurs et étudiants) d’utiliser cet avantage. 


On veut des tirelires


Élargir à toute la Belgique la gratuité du 1er dimanche grâce aux musées fédéraux donnerait un impact sans précédent à cette option qui se porte déjà à ravir. Le MR a travaillé assez récemment, avant le confinement, à cette hypothèse, notamment grâce à une investigation menée par l’ancien sénateur et ancien ministre de la culture Richard Miller. 


Bien entendu, pour que pareille hypothèse n’égratigne pas à l’économie fragile de nos institutions muséales, il convient de développer le projet de la tirelire. Celle-ci est proposée à la sortie des activités gratuites, comme le font notamment la quinzaine de musées gratuits (tous les jours) de la ville de Paris dont le célèbre Musée d’Art Moderne.

À Gand, une enquête en ce sens réalisée au SMAK (Musée d’Art Contemporain) a montré que les montants récoltés par ces dons de visiteurs dépassaient la somme des tickets tarifés à leur prix moyen. Les résultats de cette recherche indiquent également que le public donne 1 euro de plus si la tirelire est placée plutôt à la sortie qu’à l’entrée (bien sûr, dans le cas où le musée est accueillant), que les visiteurs les plus généreux sont les touristes et aussi ceux qui découvrent le musée le week-end plutôt qu’en semaine.


La Ligue des Usagers Culturels interpelle le Ministre Clarinval


Début juillet 2020, le vice-premier ministre MR, David Clarinval, également ministre chargé de la Politique Scientifique (dont les institutions muséales), a permis le déblocage de moyens financiers issus des réserves financières de 2019 pour venir en aide aux établissements scientifiques fédéraux.

Hélas, au même moment, sous ses yeux se détricote un des rares droits acquis par les visiteurs des musées fédéraux : la demie journée de gratuité mensuelle « pour tous » instaurée à la demande des autorités de tutelle, appliquée et jamais remise en question depuis 23 ans.


Lors de l’actuel reconfinement, nombre de nos musées ont perdu près des deux tiers de leurs visiteurs . L’absence massive de touristes étrangers les poussent à tenter de (re)conquérir les visiteurs de chez nous. Dès lors, rabougrir cette gratuité mensuelle n’est vraiment pas l’idéal pour valoriser leur image. 


La Ligue des Usagers Culturels interpelle donc le Ministre Clarinval pour lui demander de rétablir entièrement cette « pratique » de gratuité mensuelle pour tous : dans un premier temps, rendre immédiatement sa pleine application à celle du premier mercredi du mois, et ensuite, le plus rapidement possible, lancer une réflexion avec une concertation entre institutions et usagers afin de développer des collaborations étroites avec les initiateurs de la gratuité du premier dimanche du mois.



Alors que, le 2 septembre 2020, le Parlement européen a réhabilité et rendu public le jardin du Musée Wiertz (avec un concert gratuit au kiosque chaque jour de la semaine en septembre et octobre 2020 à 13H : https://www.europarl.europa.eu/visiting/fr/events/brussels/citizens-garden-concerts?fbclid=IwAR2alas3NZ-6t7YuJ5Sabi3QkVKpXHswoNfIb-5-pGCBWfzp6hxPpyTMGqw)… le Musée Wiertz lui-même qui appartient toujours aux MRBAB, reste inaccessible… et donc pas de "premier mercredi du mois" gratuit. 



Près des 2/3 des musées ne pratiquent pas la gratuité mensuelle


Sans intervention du ministre, pour les mois à venir, neuf institutions fédérales sur quatorze ne pratiqueront pas la gratuité du premier mercredi.

1 : L’Africa Museum a entamé le détricotage de cette gratuité fédérale, la supprimant sans aucune explication lors de sa réouverture après travaux.

2 : Le Musée de la Porte de Hal présente pendant une année l’expo «Back to Bruegel», ce qui interrompt l’exercice de sa gratuité. 

3 et 4 : Après le confinement, les MRBAB n’ont pas communiqué la date de réouverture de deux parmi leurs cinq institutions, plus précisément leurs deux seules qui sont gratuites tous les jours (un hasard?). Le Musée Wiertz (dont le jardin vient d’être rendu accessible au public par le Parlement européen) et le Musée Meunier restent fermés, ce qui ne leur permet plus d’appliquer la gratuité mensuelle. 

5 : Les Musées d’Extrême-Orient ne la pratiquent plus non plus, fermés pour restauration depuis 2013. 

6 et 7 : Le Musée des Sciences Naturelles et le Musée d’Art et Histoire (dit aussi Musée du Cinquantenaire) depuis leur réouverture d’après le confinement ont arrêté leur gratuité mensuelle.

8 : Le Musée des Instruments de Musique est fermé pour travaux.

9 : Le nouveau musée de la KBR ignore la gratuité mensuelle. 


La gratuité fédérale n’est donc plus actuellement pratiquée que par cinq musées: trois musées des MRBAB (les Musées Oldmasters, Fin de Siècle et Magritte), le Musée BELvue et le Musée de l’Armée.



La quinzaine de musées de la ville de Paris sont gratuits tous les jours. De tirelires ont été installées proches de leurs sorties pour les dons des visiteurs. Un dépliant explicatif a été publié. Rien de semblable chez nos Musées fédéraux qui pleurent leur manque de financements.