lundi 10 décembre 2018

Le Musée Magritte: ceci n’est pas un musée!



La Ligue des Usagers Culturels a soutenu l’élaboration de la plainte suivante adressée par D.H. au Services du Médiateur Fédéral, le 5 novembre 2018: 

Monsieur, Madame,

Aux MRBAB (Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique), le 27 juillet 2018, j’ai demandé le remboursement de mon ticket du 18 juillet 2018 au Musée Magritte Museum de Bruxelles car je n’ai découvert qu’après l’achat de celui-ci à l’accueil au 3, rue de la Régence, pendant ma visite, qu’un grand nombre d’oeuvres habituellement exposées, ne l’étaient pas: une quinzaine sans doute (l’institution ne m’en indiquera jamais le nombre et ne me proposera jamais, ni à moi, ni au public dans l’avis qu’elle publiera finalement à ma demande, une liste des titres de oeuvres retirées) dont trois parmi les plus renommées: Le Retour, Le Domaine d’Arnheim et L’Empire des Lumières (celle de la collection des MRBAB car il existe au Musée Magritte Museum deux versions différentes de cette oeuvre).

Ces œuvres ont été décrochées pour être exposées du 19 mai au 28 octobre 2018 au MoMA à San Francisco. 

Durant tout cet été 2018, s’est déroulée une importante campagne de communication dans le métro bruxellois (aux stations De Brouckère, Rogier, Bourse, Comte de Flandre, etc.) avec, sur de très grandes affiches lumineuses, une reproduction justement de cette dernière oeuvre qui sert habituellement d’emblème au musée, ce qui m’a encore davantage induit en erreur avant d’acheter mon ticket, concernant mon choix de visiter ou non ce musée.

J’ai donc demandé le remboursement de mon ticket à 10 euros. Dans ce premier e-mail envoyé le 28 juillet 2018, j’ai également proposé avec insistance que le musée place un avis explicatif sur le comptoir où j’avais acheté mon ticket, dans le grand hall d’entrée, au 3, rue de la Régence, pour éviter à l’institution fédérale de devoir rembourser d’autres visiteurs mécontents durant cet été 2018. 

Cette demande sera concrétisée seulement plus de deux mois et demi plus tard, après la saison estivale sans doute propice aux visites de touristes. Ne peut-on pas parler ici d’une pratique commerciale trompeuse par omission sans doute volontaire?

Le musée refusera de me rembourser mes dix euros demandés mais sera prêt à offrir un autre ticket gratuit pour une visite ultérieure.

Ce positionnement m’a paru inopportun. J’ai donc réécrit au musée pour réaffirmer ma volonté d’être remboursé en expliquant que le règlement (extrêmement détaillé) du musée qu’il m’était possible de lire avant l’achat de mon ticket n’abordait pas ce cas précis. Malgré mon exigence à être remboursé, le musée, sans aucune médiation nouvelle, autoritairement (la politique du fait accompli), m’adressa un courriel, le 15 octobre 2018, où il m’indiqua «Comme promis, nous vous avons envoyé un ticket combi gratuit» et m’envoya effectivement par la poste un ticket «All Museum Press» (alors que je ne suis pas journaliste… est-ce déontologique?). 

Comment, dans pareil cas, les MRBAB peuvent-ils me refuser le remboursement? Il me semble que les visiteurs doivent être traités de façon égale et qu’il serait bien sûr ahurissant de proposer un ticket combi gratuit plutôt qu’un remboursement … de dix euros à des visiteurs qui habitent à 100 ou 10.000 kilomètres du Musée Magritte Museum!

Je demande donc au Service de médiation fédéral d’agir afin que les MRBAB me remboursent mon ticket et je suis prêt bien sûr, en conséquence, à leur restituer le ticket combi qu’ils m’ont envoyé.

L’autoritarisme des MRBAB me semble inacceptable. 

J’ai retrouvé un cas analogue où il y a bien eu remboursement et qui s’est déroulé également à Bruxelles. Il pourrait faire office de jurisprudence. Extrait du livre «Les musées aiment-ils le public?» paru aux éditions Couleur Livres (pages 35 à 37):  

«Près de six mois de pression ont finalement conduit Henri Simons, alors échevin de la culture de la ville de Bruxelles, à écrire à mon avocate, le 14 octobre 2002:
«C’est avec plaisir que je charge mes services de rembourser à votre client le montant de 6 €».
Cette somme correspond au prix de l’entrée (avec réduction) de l’exposition Rubens qui s’est tenue du 12 mars au 28 juillet 2002 à l’Hôtel de ville de Bruxelles.
Trois mois avant la fin de cette exposition, le Silène Rêvant , une toile souvent mise en évidence par la critique dans ses comptes-rendus, a été rapatriée à Vienne. Quelques jours plus tard, je viens visiter cette exposition. Sur le trottoir de la Grand Place, un panneau affichant un poster de cette œuvre prématurément décrochée était toujours disposé pour baliser l’entrée de l’exposition.
Dans la salle d’accueil, sur le comptoir où l’on paie sa dîme, une petite vitrine éclairée exposait un catalogue malencontreusement ouvert à la page qui reproduisait l’œuvre manquante! Aucun avis n’était affiché pour informer le visiteur de ce changement des toiles exposées, et le dépliant n’était pas plus loquace (…).
Ma lettre eut deux conséquences: le rangement du panneau litigieux qui se trouvait sur le trottoir et le changement de page du catalogue exposé. En revanche, aucun avertissement ne fut affiché, ce qui est inexcusable. Plus rien n’est faux mais l’évolution n’est toujours pas indiquée au visiteur. Une sorte de mensonge par omission.
Me faire rembourser mon ticket fut laborieux. Mes simples courriers d’usagers, même en envoi recommandé, n’aboutirent à aucun résultat concret.
Finalement, Mr Simons réagira positivement à la lettre envoyée le 2 octobre 2002 par l’avocate Isabelle Lohisse: «(...) Mon client n’entend actuellement qu’être remboursé du prix déboursé pour visiter cette exposition ne présentant pas l’un des tableaux de Rubens annoncés (...) À défaut de règlement amiable de ce litige, mon client ne manquera pas de faire valoir ses droits, se réservant expressément, en outre, de réclamer notamment des dommages et intérêts pour les désagréments que lui causerait votre attitude».
Sans doute que le revirement tardif de l’échevin sera aussi consécutif à plusieurs articles qui dénoncèrent le problème dans la presse écrite, dont une enquête signée par Guy Duplat qui s’était rendu sur les lieux pour constater les faits et avait titré en «une» de La Libre Belgique: «Combat: Ces tableaux que l’on n’a pas vus...», le développement en page intérieure s’intitulant «Une expo, cela peut tromper» (08/05/2002).
Contacté sur ce cas concret dès le 28 juin 2002, Charles Picqué, le Ministre des affaires économiques (qui avait en charge, notamment, la protection des droits des consommateurs), répondra le 29 octobre 2002. Sa lettre, dont voici quelques extraits, pose la base d’un droit à la protection des consommateurs culturels: «Un principe de droit exige qu’avant la conclusion de tout contrat, la partie «dominante» doive fournir à son futur cocontractant toutes les informations utiles à une prise de décision en connaissance de cause. Agir autrement enfreindrait la bonne foi. Les Cours et Tribunaux ont, depuis longtemps, en effet, reconnu l’existence d’une obligation générale de renseignements à charge des fabricants, vendeurs et prestataires de services professionnels. Ce principe juridique permet de sanctionner un comportement fautif au cours de la période précontractuelle. Dès lors, je suis également d’avis que la Ville de Bruxelles aurait dû faire le nécessaire afin que les visiteurs soient avertis de la disparition d’une œuvre maîtresse de l’exposition».
Mais combien de visiteurs osent ou peuvent se permettre pareille obstination? Une réglementation devrait donc s’élaborer, qui tienne davantage compte des droits du public. Que se pérennise un «mode d’emploi» pour les remboursements en cas de situation abusive, et que celui-ci soit, bien entendu, largement médiatisé».

Bien sûr, mon action a un objectif symbolique et citoyen. Il me semble que tout musée devrait indiquer sur internet ET à ses guichets (c’est ce dernier point qui fait l’objet de ma plainte) les titres des oeuvres habituellement exposées (et à fortiori les «emblèmes» d’un musée ou d’une exposition: les oeuvres mises en avant dans la promotion, ou servant d’illustration de la couverture de catalogues ou de dépliants, ou en vente sous forme de carte postale dans le musée lui-même, etc.) qui ne sont pas momentanément accessibles au public pour une raison valable (ce que je n’ai jamais contesté: il est logique que les oeuvres voyagent, soient restaurées, etc.).

Enfin, le service de médiation fédéral pourrait-il se positionner par rapport au fait que les MRBAB ont mis tant de temps pour concrétiser leur acceptation par e-mail de placer d’un avis sur leur comptoir (pratiquement toute la saison touristique estivale): à savoir, près de deux mois? De quoi remettre en question cet extrait de la première réponse du musée: «Les commentaires de nos visiteurs nous aident toujours à améliorer nos services». Pas très vite, il faut hélas bien le constater!
Il faut aussi constater que le musée n’a pas concrétisé la proposition suivante annoncée dans sa deuxième réponse (voir annexe): «(…) ajouter un slide dans le défilé des écrans digitaux».
Et que pense-t-il du contenu de cet avis où le musée n’a pas accédé à notre demande élémentaire d’indiquer au public clairement le nombre d’oeuvres parties pour intégrer l’exposition à San Francisco et les titres de ces oeuvres? Le public vient parfois pour découvrir une ou des oeuvres particulières et il a droit de savoir pas APRÈS mais AVANT d’avoir payé son ticket s’il pourra voir concrétiser son désir. Si d’autres toiles de Magritte devaient partir pour d’autres expositions en novembre 2018 (et cela va être d’ailleurs le cas: https://thedali.org/exhibit/27065-2/?fbclid=IwAR1RWEBe_hQaQnEJtwNXDyfL4XVg3E6KRnRX9Ld26QHYKwoNCX78NjKxX88) ou plus tard, que fera le musée pour en avertir les visiteurs? Puisse votre décision tenir compte de cette ultime question!

Je tiens ici à remercier l’ASBL «Ligue des Usagers Culturels» (L.U.C.) qui m’a soutenu dans la rédaction et le suivi de cette plainte. 

Dans l’attente de vous lire, je vous prie de croire en l’expression de mes sentiments les plus cordiaux. 

D.H.

Photo: cette œuvre est l’une des plus connue du Musée Magritte. Pendant qu’elle sera exposée à San Francisco, durant toute la saison touristique estivale de 2018, elle sera promue dans de nombreuses stations du métro bruxellois!