mercredi 28 septembre 2022

Où est la statue de l’Île de Pâques ?

Certaines institutions culturelles de premier plan se créent un règlement destiné au public qui regorge d’obligations dont certaines sont parfois à la limite de la légalité. Par contre, la plupart du temps il arrive que ce texte bien sévère et souvent prolixe oublie de mentionner, à propos des mêmes thématiques, les droits évidents qui reviennent aux visiteurs.

Ainsi, le Musée des Beaux-Arts d’Anvers qui retrouve ses visiteurs en septembre 2022 après onze ans de travaux impose cet article 8 dans ses « Conditions générales de visite »:
« En cas de non-accessibilité ou d'accès incomplet à certaines salles d'exposition, aucun remboursement ou réduction ne sera accordé ».
Voir: https://kmska.be/fr/conditions-generales-de-visite
Par contre, le même texte se tait sur le fait que le public a le droit d’être informé de façon précise (sur le site internet et à l’accueil du musée) sur ces éléments de non accessibilités avant qu’il ne paie son ticket, ce qui constitue la simple application de notre législation économique. Ce n’est d’ailleurs pas parce que cette donnée s’est volatilisée dans ce texte anversois qu’elle n’est pas d’application.

Dans le présent blog, nous avons déjà longuement expliqué comment, après trois ans de combat, un visiteur avait finalement eu gain de cause en se faisant rembourser son ticket par le Musée Magritte de Bruxelles. La raison : celui-ci avait omis d’indiquer avant que le visiteur ne paie son entrée que n’étaient pas exposées plusieurs peintures du maître surréaliste qui font partie de la collection de cette institution fédérale:
http://la-luc.blogspot.com/2021/12/thomas-dermine-secretaire-detat-mon.html

Dans ce présent article, nous pouvons revenir sur ce thème avec un nouvel exemple qui nous donne raison.  

En mars 2018, au Musée royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles (anciennement dénommé « Musée du Cinquantenaire »), celui qui deviendra plus tard le président de « La Ligue des Usagers Culturels » souhaite admirer l’un des « must » du fond permanent, une des statues de l’Île de Pâques (6,5 tonnes; 3,5 mètres en hauteur).
Il achète à l’accueil son ticket. Il visite le reste du musée mais il lui sera impossible de découvrir cette œuvre ramenée à Bruxelles en 1934 par l’expédition du Mercator.
En effet, elle a été incorporée dans l’exposition temporaire « Oceania, Voyages dans l’immensité » qui se visite avec un ticket spécifique.

Il n’envoie pas de plainte au musée. Quatre ans plus tard, il s’en mordra les doigts car exactement le même cas de figure s’y représente à lui.

Dans le shop trône une imposante reproduction d’une statue de l’Île de Pâques (environ 6 mètres de hauteur) mais la vraie statue moins imposante qui appartient à l’institution n’est pas accessible dans le musée lui-même.

 

UNE PLAINTE…

Le 28 août 2022, impossible à nouveau de découvrir cette statue car la salle qui l’abrite n’est pas accessible.

Cette fois-ci, il envoie la plainte suivante, le 1er septembre 2022, au Musée royal d’Art et d’Histoire. Elle détaille ce nouveau constat, avec quelques propositions : « Aucun avis à l’accueil du musée. Sur le site internet, on peut lire le jour de la visite contrariée : « Venez vous immerger dans le monde oriental en croisant des Bouddhas d'Asie et voyager jusqu'à l'autre bout de la terre pour apercevoir une gigantesque statue de l'Île de Pâques ». Il conviendrait peut-être de prévoir sur ce site, à un endroit proche de celui où le public peut réserver sa tranche horaire et payer sa visite, une case régulièrement actualisée : « Les œuvres de notre patrimoine qui ne sont pas actuellement accessibles au public ».

De plus, à l’entrée du musée: une pile du dépliants détaillant les objets les plus connus du musée. L’œuvre momentanément invisible y est la seconde à être renseignée dans la rubrique « Des chefs-d’œuvre uniques ». On peut y lire : « Faites connaissance avec nos incontournables (…) Une impressionnante statue de l’Île de Pâques offerte à la Belgique par les autorités chiliennes (…) ».
Pour l’accueil au musée lui-même, ne serait-il pas utile de placer un avis sur le comptoir indiquant aux visiteurs qu’ils peuvent demander à pouvoir consulter une liste que lui fournirait la personne qui vend les tickets, à propos des œuvres du patrimoine ne sont pas exposées?

Cette statue est un «incontournable » du musée. Pour s’en convaincre définitivement, si on n’a pas lu les textes élogieux sur le site internet et dans le dépliant, il suffit de se promener dans le shop.
Il y trône une imposante reproduction d’environ 6 mètres de hauteur. Deux piles de livres axés sur l’Île de Pâques.
À vendre : de petites figurines de différentes couleurs, à 30 euros. Plusieurs exemplaires du livre «Museum in Strip » qui reproduit différents extraits de BD reprenant des statues de cette île dans leur scénario. Enfin, le grand catalogue « Les incontournables du musée » lui consacre une page ».

À vendre au shop : de petites figurines de différentes couleurs, à 30 euros.



 …ET LA RÉPONSE DU MUSÉE

La direction de l’institution accuse réception de cette plainte le jour même de son envoi et répond de façon détaillée le 15 septembre 2022 :

« Veuillez accepter ici toutes nos excuses. Il est en effet fort regrettable que vous n’ayez pu être dûment informé préalablement à l’organisation de votre visite au musée.
Le texte repris sur la page d’accueil de notre site web, faisant référence à la statue de l’Île de Pâques, a été modifié. Une rubrique « Salles fermées » est désormais également consultable sous l’onglet «Visiter» de notre site. Sous la rubrique « Collections », nous renseignerons aussi dès ce lundi (jour du retour de notre collègue du service Communication) que le colosse n’est malheureusement pas visible temporairement.
Cela va sans dire, aussitôt cette œuvre rendue à nouveau accessible au public, nous ne manquerons pas de le communiquer via ce même canal.
Enfin, concernant les salles fermées et autres pièces de collections rendues inaccessibles, nos collègues présents à l’accueil du musée restent également toujours disponibles pour bon renseignement ».

Le grand catalogue « Les incontournables du musée » consacre une page à la statue du Musée royal d’Art et d’Histoire.
 

QU’EN PENSE LE SECRÉTAIRE D’ÉTAT THOMAS DERMINE ?

Il y a dans cette réponse des avancées significatives qui font suite à la plainte de La Ligue des Usagers Culturels.
Reste quand même un point à résoudre. Le public n’est pas habitué à exercer ce droit à découvrir si telle ou telle œuvre est bien exposée. Comment pourrait-il imaginer que le personnel à l’accueil puisse lui fournir pareilles informations? Il convient donc qu’à l’entrée du musée un avis détaille clairement cette possibilité.
Ce droit découle du point 2 du Code des usagers culturels qui est applicable en Fédération Wallonie Bruxelles : https://www.culture.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=098da72b12d4c32661de7b1a43adf980e223e601&file=fileadmin/sites/culture/upload/culture_super_editor/culture_editor/documents/Documents_utiles/Droits_des_usagers_et_publics_de_la_Culture/code_usagers.pdf

Le Secrétaire d’État chargé des musées fédéraux Thomas Dermine nous a clairement indiqué quelques semaines après sa nomination qu’il tenait à reprendre les 15 points de ce Code pour les voir appliqués par les institutions dont il a la charge : http://la-luc.blogspot.com/2021/12/thomas-dermine-secretaire-detat-mon.html

Il nous semble donc qu’il est temps de passer à l’acte, en découvrant que non seulement les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique mais aussi le Musée royal d’Art et d’Histoire n’appliquent pas ce point 2.
Et enquêtons aussi sur les 14 autres obligations!